Je vous préparais des voeux plein de joie, quand ma gaité fut fauchée en plein vol à 13 heures aujourd’hui…
J’ai mal à ma liberté, à la démocratie, à l’expression libre, à la critique, à la satire. Mon stylo saigne, mon carnet de notes crie et moi je pleure.
Charlie Hebdo, ce sont des années de rires, de sourires, de réflexions, de « ils y vont fort tout de même, mais ils ont raison ». Charlie ne laisse personne s’endormir sur ses idées reçues, prend le contrepied de tout mais jamais pour rien.
Charlie, un empêcheur de tourner en rond, qui tire les sonnettes d’alarme, qui fait rire tout le monde mais qui au final n’est écouté que par peu. Jusqu’à ce matin. Jusqu’à ce qu’on fasse taire Charlie. Alors oui, on va peut-être l’écouter maintenant, ce silence qui règne ce soir dans la rédaction, quand les grandes plumes et les meilleurs coups de crayons sont partis sous les balles et avant qu’on vienne faire place nette pour un autre futur.
Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Bernard Maris, et tous les autres, des bonnes gueules qui ont gueulé trop fort ? C’est quoi trop fort quand on dénonce la connerie, l’absurdité d’un monde qui perd la boule ? Au nom de quoi on cloue le bec à quelqu’un qui parle vrai ? Et même s’il dit des conneries, et si l’on n’est pas d’accord, ce n’est pas en lui mettant une balle dans le caisson qu’on va le faire changer d’avis.
Alors, connaissant les gus, s’il existe un mec là-haut au nom de qui l’on s’entretue depuis la nuit des illuminés, ils doivent s’en donner à coeur joie maintenant qu’on ne peut plus rien leur faire. Et ça va durer toute l’éternité. Bien fait !
Au-delà de la famille de Charlie, je pense aussi à tous les journalistes, dans le monde entier, qui ont passé le stylo à gauche, qui pensent en rond dans des prisons, que l’on menace tous les jours et que l’on veut faire taire. Je pense notamment à Rayma Suprani, une caricaturiste vénézuélienne menacée de mort pour dénoncer chaque jour la « démocratie » à la Chavez. Pourquoi elle en particulier ? Parce qu’à l’heure où l’Espagne, mon pays de résidence, pense fortement à troquer sa corruption et ses libertés démocratiques pour un système tout aussi corrompu mais qui ferme les chaînes de télé, rachète les journaux et vire les journalistes qui font leur boulot critique (mon ancien pays de résidence), je me dis qu’il n’y a pas forcément que les religions pour tenter de faire fermer les esprits et qu’il n’est pas besoin d’être un « barbare » pour succomber au charme du « penser autrement » mais à l’envers.
Et puis j’ai beau écrire et être lue tous les jours — je ne me prétends pas journaliste — mais au travers de mon boulot, c’est le travail des musiciens que je défends. Et si demain on se mettait à tuer les artistes, juste parce qu’ils ne sont pas d’accord ? Tuer Picasso pour Guernica ? Tuer Rodin pour son Penseur ? The day the music died…
Alors oui, ce soir Je Suis Charlie, on est tous Charlie, mais une chose est sûre, ils n’ont pas tué Charlie, on fera tout pour le garder en vie, parce que si Charlie meurt, notre liberté à tous aussi…
Carlos Latuff @LatuffCartoons
CHARB